Moebius 145 : Mathieu Simoneau sur La Divine Mitochondrie
La divine mitochondrie est le deuxième recueil de poésie de David Jasmin Barrière, après L’éléphant, paru en 2008, aussi à l’Hexagone. Cette œuvre pour le moins déconcertante nous est présentée comme un « récit hyperbolique » qui pourrait plaire aux lecteurs de Claude Gauvreau, d’André Breton ou de Tristan Tzara, entre autres.
En effet, du moment où l’on franchit les premières pages, on entre dans un monde qui possède son propre code et ses propres repères. Dès le départ, on avance dans ce recueil comme en une forêt vierge, un peu désarçonnés par cette langue touffue, hirsute, dont on pressent le mouvement général, sans pour autant en saisir clairement le fil conducteur. Ce n’est qu’après une première lecture que les barrières tombent, et l’on abdique devant notre incapacité à cerner le sens du recueil avec nos propres acquis. On accepte alors de se laisser immerger dans ce langage et de suivre le courant qui le porte. Pourtant, dès le premier poème, on est d’emblée avertis, car la mise en garde de l’auteur s’inscrit en filigrane du texte. Ce poème, intitulé « Parce que », est en quelque sorte le poème clé du recueil, car il nous expose, de manière métaphorique, bien sûr, le projet du poète, et nous explique aussi pourquoi son langage revêt un caractère aussi radicalement surréaliste et éclaté. Ce poème nous montre une certaine révolte, de même qu’un refus de limiter notre perception du monde aux catégories habituelles de la pensée, notamment la logique et le rationnel. À la perplexité de certains lecteurs qui pourraient se sentir déstabilisés ou décontenancés par le langage déployé, le poète répond que « l’étrange clarté à double tranchant [lui est] une langue ». L’œuvre propose donc de nager en eaux troubles, dans les zones aquatiques indéterminées de ce qui n’est pas encore formé et qui contient tous les potentiels du devenir, comme le suggère le titre de la première partie du recueil « L’Océan ».
Le choix de l’image de la mitochondrie comme thématique centrale du recueil est à cet égard fort significatif. En effet, la mitochondrie est un organisme intracellulaire fondamental qui fournit de l’énergie aux êtres vivants et qui joue aussi un rôle important dans la transmission des gènes maternels. Cette image, transposée dans le cadre du recueil, peut alors faire référence au caractère originel du langage et de ses possibles. Il n’en faut pas plus pour conférer à la mitochondrie un aspect divin, comme le suggère le titre du recueil. Il est d’ailleurs tentant de jouer avec les mots et de voir une certaine « mytho-chondrie », qui se situe au cÅ“ur de la cosmologie proposée par Jasmin Barrière, et qui rappelle l’œuf primordial de certaines mythologies anciennes. Le rôle énergétique de la mitochondrie prend également une grande place dans l’œuvre, notamment l’hydro-électricité (« J’ai besoin d’une nouvelle Baie-James ») et plusieurs autres, comme en témoigne le passage suivant: « J’ai des panneaux solaires plein la tête. Mes oreilles sont des éoliennes. Sous les aisselles, j’aménage des hélices tidales. Je m’accapare des sources géothermiques. Je fore dans les schistes. »
Toutefois, malgré la grande pertinence du projet global proposé par le titre du recueil, on a de la difficulté à saisir l’unité derrière le foisonnement des images, lesquelles peuvent sembler trop aléatoires et artificielles à certains moments. Dans cette abondance d’énumérations et de descriptions parfois incohérentes, on voit mal pourquoi on passe de l’océan à la lune, dans la deuxième partie, puis à la terraformation de la planète Mars, dans la dernière, en croisant par exemple un chat et une moufette. Cette exubérance se veut surtout ludique et demeure en général relativement intellectualisée. Malgré ce côté un peu plus irritant du recueil, il faut reconnaître que plusieurs pages ont une puissance mystérieuse qui n’est pas sans rappeler l’hermétisme fécond des images de René Char, et ceux-ci réussissent à nous mener en des profondeurs où l’on retrouve avec plaisir l’effervescence du désordre premier.
David Jasmin Barrière, La divine mitochondrie, poésie l’Hexagone, 2014, 68 p.
Mathieu Simoneau